L'e-cigarette, nouvelle arme antitabac
Article paru dans Le Particulier Santé - Février 2020
En quelques années, la vapoteuse s’est imposée comme l’aide au sevrage tabagique la plus utilisée en France. Si elle permet aux fumeurs de décrocher, elle suscite toujours des questions quant à ses effets sur la santé.
Vapoter. De “vapeur”, avec influence de “crapoter ”, tirer sur une cigarette sans avaler la fumée. Fumer une cigarette électronique. » Telle est la définition du Larousse de ce verbe accepté au Scrabble et conjugué au quotidien par 1,7 million de Français et plus occasionnellement par 2,4 millions. Il y a encore une dizaine d’années, pourtant, personne n’en avait entendu parler. Arrivée sur le marché français en 2010, la cigarette électronique s’est imposée comme l’outil d’aide au sevrage tabagique le plus utilisé. Quelque 700 000 fumeurs estiment avoir décroché entre 2010 et 2017 grâce à elle, selon le Baromètre 2017 de Santé publique France. « La vaporette est moins dangereuse que la cigarette et aide à l’arrêt et à la diminution de la consommation du tabac », assure l’Académie nationale de médecine, rappelant les fumeurs s’apprêtant à troquer cigarette contre vapoteuse de ne pas hésiter. « Il est préférable pour un fumeur de vapoter », souligne l’Académie. De fait, la cigarette électronique ne contient pas de tabac, ni les substances toxiques produites par sa combustion, à l’origine de cancers, maladies cardio-vasculaires et insuffisance respiratoire. Chaque année, en France, 75 000 décès sont ainsi imputables au tabac. L’e-cigarette n’est, en revanche, pas dépourvue de nicotine. Une grande partie des vapoteurs utilisent un liquide qui en contient, à plus ou moins forte dose (jusqu’à 20 mg/ml). À la différence que la nicotine ne se fume pas, elle s’inhale. Lorsque le vapoteur « tire » sur sa cigarette électronique, le liquide se transforme en aérosol sous l’effet d’un dispositif chauffant, l’atomiseur. La vapeur est alors aspirée, fournissant au vapoteur sa dose de nicotine. Une dose qui, dans un objectif de sevrage, va diminuer au fur et à mesure, jusqu’à, dans le meilleur des cas, disparaître complètement. Selon une étude menée en Grande-Bretagne, la vape permet deux fois plus d’arrêts du tabac que les autres substituts.
DES EFFETS À LONG TERME INCONNUS
Pour autant, si l’on sait ce que l’on évite en arrêtant la cigarette, on ne sait pas encore vraiment quels sont les risques, s’il y en a, avec la cigarette électronique. Quelques effets indésirables et accidents sont régulièrement rapportés : irritations bénignes de la bouche, de la gorge, toux, brûlures, plus rarement, explosion de batteries… Faute de recul encore suffisant, les effets à long terme de la vape interrogent et inquiètent. Plus de la moitié des adultes jugent ainsi la cigarette électronique aussi nocive, voire plus nocive, que la cigarette ordinaire. « L’e-cigarette demeure controversée car son rapport bénéfices/risques est encore mal connu », publie Santé publique France. « La nocivité des émissions générées par la cigarette électronique sur le long terme et son efficacité dans l’aide au sevrage tabagique sont questionnées, sans que la littérature scientifique ne permette à ce jour de définir un consensus indiscutable. Cela a conduit plusieurs organisations sanitaires internationales à émettre des avis invitant à la prudence », poursuit l’agence nationale de santé publique.En juillet dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la qualifiait d’« incontestablement nocive » et recommandait de la soumettre à régulation. Le mois suivant, en août, une épidémie d’affections pulmonaires sévères et le décès de plusieurs vapoteurs aux États-Unis ont jeté un peu plus le trouble. En septembre, l’Inde et l’État de New York la bannissaient de leur territoire respectif. Des prises de position qui ont suscité la crainte : et si la cigarette électronique était mauvaise pour la santé ?
« Les cas de toxicité pulmonaire rapportés aux États-Unis sont liés aux liquides que certains utilisateurs ont mis dans le réservoir de leur cigarette électronique », rassure le Pr Bertrand Dautzenberg, tabacologue, ancien pneumologue et président de Paris Sans Tabac. « Ces liquides, fabriqués maison ou achetés en dehors des points de vente officiels, contenaient des huiles de cannabis, du cannabis synthétique et de l’acétate de vitamine E. Les vapoteurs ont mis du poison dans leur cigarette électronique, pour un usage récréatif. Le contenu est en cause, pas le contenant », ajoute le médecin, qui défend une utilisation dans les règles de la cigarette électronique.
DES RISQUES LIÉS À L’USAGE RÉCRÉATIF
En France, la cigarette électronique et les e-liquides sont encadrés par des directives et règlements européens. Les 35 000 produits disponibles sont enregistrés 6 mois à l’avance auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et leur composition doit être détaillée. Le niveau de nicotine des liquides est surveillé, de même que la quantité d’aldéhydes présents dans la vapeur. « Chaque année, nous prélevons des produits du marché pour les tester », explique Sébastien Roux, docteur en sciences et président du Centre de recherche et d’innovation pour la vape (Crivape). « Les résultats font apparaître des seuils bien en dessous des normes », rassure-t-il. Et pour les voisins des vapoteurs ? Le Crivape a constaté que l’air d’une pièce où l’on vape ne contient pas de nicotine. Une hausse de la concentration en propylène glycol a, en revanche, été remarquée. « Cela ne présente pas de risque », déclare Sébastien Roux. « Contrairement au tabac, le vapotage n’émet pas de fumée, puisqu’il n’y a pas de combustion, rappelle Vincent Durieux, président de France Vapotage. Aucun élément scientifique n’indique que la vapeur puisse être nocive pour l’entourage. Des études démontrent que la vapeur produite par la cigarette électronique contient au minimum 95 % de substances toxiques en moins que la fumée de cigarettes. »
UNE AIDE AU SEVRAGE TABAGIQUE
« Il est difficile de généraliser la toxicité potentielle des émissions de cigarette électronique, car celle-ci dépend de la combinaison de nombreux facteurs », insiste Santé Publique France. Il y a, bien sûr, la composition du liquide (arômes alimentaires dont le profil toxicologique est connu pour l’ingestion et non pour l’inhalation, taux de propylène glycol qui est un irritant des voies respiratoires), mais aussi les paramètres de vapotage de la cigarette électronique (la puissance de la batterie couplée à la résistance de l’atomiseur est déterminante dans la production de composés gazeux nocifs). Enfin, le profil d’inhalation du vapoteur (durée d’inhalation, volume des bouffées…) est également important.
Comme tout produit de sevrage tabagique, la cigarette électronique doit être utilisée de façon transitoire. « Le but de la vape est d’être un outil de sevrage du tabac, puis un outil de sevrage de la nicotine », insiste Sébastien Roux. Une désintoxication en deux étapes pas toujours évidente : s’ils arrivent à décrocher de la cigarette, les ex-fumeurs peinent parfois à ne pas dépendre de la vapoteuse. D’autres cumulent les deux - une bien mauvaise idée. « La cigarette électronique ne doit pas devenir le remplacement de la cigarette classique. Elle constitue une aide pour l’arrêt du tabac chez les fumeurs qui ont besoin des effets de la nicotine, du geste et des sensations dans la gorge quand ils inhalent », indique le Dr Anne-Laurence Le Faou, responsable du centre d’addictologie de l’Hôpital Européen Georges-Pompidou (Paris) et présidente de la Société francophone de tabacologie (SFT). « La durée d’utilisation de la cigarette électronique augmente en France et pour certains anciens fumeurs, une addiction au produit se développe », poursuit-elle. Le médecin constate l’arrivée sur le marché de produits de plus en plus puissants et attractifs, observe le développement de discours marketing visant à conserver une clientèle dépendante, voire à séduire… des non-fumeurs. De rares vapoteurs (0,2 %) reconnaissent n’avoir jamais fumé de leur vie.
« L’utilisation de la cigarette électronique en dehors du contexte du sevrage tabagique est médicalement formellement déconseillée », martèle la Société francophone de tabacologie (SFT) et la Société de pneumologie de langue française (SPLF). La principale crainte concerne les plus jeunes : la cigarette électronique pourrait les attirer vers la nicotine et le tabac. L’effet passerelle n’apparaît pas dans les études actuelles. Reste que selon une enquête de l’Office français des drogues et toxicomanies (OFDT) réalisée en 2017, 3,8 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté la cigarette électronique sans avoir jamais fumé. « Il est interdit de vendre des cigarettes électroniques et des recharges aux mineurs, et ce, quels que soient les canaux de distribution. Pour nous, ce point est essentiel », affirme Vincent Durieux, le président de France Vapotage. Sa fédération a développé une campagne à destination du réseau des buralistes et des magasins spécialisés dans la vape appelant à la responsabilité de tous. « La Charte de la fédération comprend parmi les 10 engagements de ses membres celui de s’abstenir de toute pratique de marketing pouvant attirer les enfants et les mineurs », reprend Vincent Durieux.
Face aux questionnements et pour répondre au défi de l’arrêt du tabac, de nouvelles études sont indispensables afin de connaître les effets à court, moyen et long terme de la cigarette électronique et permettre aux fumeurs de se lancer dans le sevrage. En France, un essai clinique, ECSmoke, est en cours afin d’obtenir des données scientifiques de qualité pour valider ou non la cigarette électronique dans l’arrêt du tabac.